Obsessions, hallucinations, folie, mélancolie… ces 3 romans haletants explorent nos vertiges avec grâce et rebondissements.
A la vie, à la mort
Pour son premier roman, la journaliste et dramaturge Myriam Leroy nous fait retomber en adolescence avec une certaine violence. Il faut dire que ses héroïnes prélevées sur un collège chic du Brabant wallon au milieu des années 90 ne respirent pas l’insouciance, encore moins l’innocence. Ariane et sa complice ne sont pas du genre à collectionner les bics roses et à rêver aux princes charmants. Les garçons ? Elles préfèrent les piéger et les martyriser de leur mépris. L’avenir ? Plutôt mourir que de devenir une vieille de trente ans. Sauf que le jeu devient vite dangereux : haines partagées, mensonges, exclusions, manipulations… La jeune narratrice qui dissimule les failles de ses origines sociales dans cette amitié empoisonnée est prête à tout accepter pour rester dans le sillage éblouissant d’Ariane. Satire sociale et roman d’apprentissage inversé, ce récit porte en lui la fureur d’un Orange mécanique au féminin. Sa cruauté, plus psychologique que physique, témoigne d’un monde où les sentiments, même adultes, restent à jamais mutilés. La leçon de l'histoire? Cessons immédiatement d’idolâtrer nos années de jeunesse parce qu’à y regarder de plus près nous n’avons aucun intérêt à y retourner.
Ariane, Myriam Leroy, 208 P., éd. Don Quichotte.
Job-mania
Depuis 18 ans, Keiko vit, dort et pense au rythme du konbini (supérette japonaise ouverte 24h/24) dans laquelle elle travaille. En décalage par rapport à sa famille et à ses camarades qui déplorent son manque d’ambition conjugal et professionnel, la jeune femme de 36 ans a fait de ce job d’étudiant un véritable refuge. Contrairement au monde extérieur où Keiko n’arrive pas à dire et à faire ce que les autres attendent d’elle, elle se sent parfaitement en phase avec l’univers du petit magasin. Employée modèle, elle anticipe la demande en fonction de la météo, maîtrise toutes les subtilités de la mise en rayonnage, et sourit avec enthousiasme aux clients. On connaissait le phénomène des hikikomori, ces jeunes japonais qui s’enferment dans leur chambre pour échapper à la société, on découvre ici une autre facette de ce mal-être grâce à ce roman surprenant dont l’héroïne serait un double de l’auteur, elle aussi vendeuse dans un konbini. Si, si, si.
Konbini, Sayaka Murata, 124 P., éd. Denoël.
Un poison sans nom
Joey est seul, assis à la table de la maison qu’il a construite de ses mains au milieu des bois. Les gens qu’il aimait sont partis un à un et il est temps pour lui de mettre enfin des mots sur le mal étrange qui a traversé et influencé son existence. C’est à l’été de ses vingt ans que ses souvenirs le ramènent car c’est pendant cette courte période que le jeune homme découvre à la fois l’amour de sa vie, la folie meurtrière de sa mère et ce mélange de sensations terrifiantes qui s’emparent de son esprit. Persuadé de partager cette fragilité psychologique avec celle qui l’a élevée et se trouve désormais en prison, le narrateur se sent pris au piège de ses propres pulsions. Dans une langue fiévreuse et mélancolique, le romancier américain Alexander Maksik parvient à nous faire ressentir avec intensité tous les tressaillements psychologiques de ses personnages auxquels on finit par s’attacher inexorablement.
L'oiseau, le goudron et l'extase, Alexander Maksik, 468 P., éd. Belfond.
publiés dans le magazine GAËL www.gael.be
« C'est bien la pire folie que de vouloir être sage dans un monde de fou. »
L'Eloge de la folie, Erasme (1508)