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Photo du rédacteurMadeleine Nosworthy

L'ame russe a survecu au 20eme siecle

Je ne vais pas vous vendre les bienfaits du genre littéraire de la nouvelle: Paloma a tout dit dans son article sur Francis Scott Fitzgerald. Pour mémoire: une nouvelle est courte, et donc adaptée à nos vies à 100 à l’heure, et divulgue l’univers de grands auteurs en quelques pages seulement.


La nouvelle nous plonge brusquement au beau milieu d’une vie dont seulement un tout petit moment nous est raconté. On en est retiré tout aussi abruptement. C’est désorientant, et cela met parfois mal à l’aise. Il ne s’agit pas, comme dans un roman, de suivre un personnage, ses pensées, sa vie et donc d’apprendre à le connaître — mais simplement de partager un moment de vie très court. Il y a là quelque chose de voyeur, d’inconfortable. C’est aussi ce qui montre l’habileté de l’auteur: en quelques lignes seulement il faut dresser un portrait, créer un décor, une narration.

Ludmila Oulitskaïa chez elle, à Moscou, en 2015. © Denis Sinyakov / Cosmos

Ludmila Oulitskaïa le fait à merveille. Cette auteure russe a été publiée pour la première fois en France en 1992, et a été reconnue depuis en Russie et à l’international. Elle raconte le quotidien de l’URSS des années 1940, 1950 et 1960, avec ses logements communaux, ses restrictions et ses dénonciations, et des personnages à la fois profondément humains et complètement hors du commun. Il y a Simka, mère d’une petite Bronka, qui emménage dans le cagibi d’un appartement communal. Elle est “efflanquée, le nez long, ses bas tirebouchonnés sur des jambes fluettes” et elle fait “tourner ses bras comme un moulin à vent.” Au fil de l’histoire, on apprend qu’elle n’a plus de dents, qu’elle travaille comme une forcenée et que malgré sa vanité et sa “façon bien à elle de faire des scènes,” elle réussit à se faire aimer de ses voisins. Mais tout cela n’est que le décor: l’histoire est en fait celle de Bronka, sa fille. Il y a aussi Lilia Jijmorskaïa, cette petite fille sage dont l’arrière grand-père très malade lui raconte des histoires tous les jours au retour de l’école, et qui finit par mettre une sacrée raclée au grand garçon qui l’embête à la sortie de l’école.


À travers ses personnages étonnants, Oulitskaïa rend palpable un quotidien dans lequel “entendre, voir et s’immiscer physiquement dans la vie des voisins était inévitablement l’affaire de chaque instant.” Cette intimité est rendue par l’humour, délicat mais bien présent, et par l’attention aux détails: on apprend à connaître les protagonistes par de gros plans sur leurs mains, leurs visages ou d’autres parties de leurs corps — exactement comme si nous aussi, nous vivions dans ces appartements communaux et avions affaire à ces inconnus au quotidien.


Mais ce qu’Oulitskaïa raconte le mieux, c’est l’enfance. Elle raconte dans “La varicelle” une après-midi d’anniversaire chez une petite Aliona où déguisements et jeux de docteur sont au rendez-vous, reproduisant avec fidélité les angoisses, les croyances et les règles secrètes de ce monde que la plupart des adultes regarde un peu de haut — ce monde où “le jeu, en corrigeant une réalité dont on n’est pas satisfait, la transforme en quelque chose de plus juste et de délicieusement malléable.”


L’univers d’Oulitskaïa est à la fois tendre et brusque, et en faisant revenir certains personnages dans plusieurs nouvelles, elle offre au lecteur une familiarité à laquelle ses nouvelles nous invitent à revenir régulièrement.



Ludmila Oulitskaïa, Les pauvres parents, ou La soupe d’orge perlé et autres nouvelles, tous les deux en poche.

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