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  • Photo du rédacteurPaloma de Boismorel

La vraie vie d'Adeline Dieudonne

Multiprimé, multitraduit, son premier roman intitulé La Vraie Vie l’a révélée en 2018 à l’âge de 35 ans. Adeline Dieudonné a récidivé ce printemps avec Kérozène qui promet déjà un succès explosif. Dans le cadre d’une longue interview pour le magazine GAEL (www.gael.be), j’ai eu la chance de bavarder avec elle à sa table de cuisine entre son chat et sa théière favorite. Enquête sur une trentenaire belge dont le regard angélique et le talent machavélique ont de quoi intriguer.


C’est toujours la même chose avec les écrivains, ils ont l’air anormalement normaux. Une normalité qui est forcément suspecte quand on pense aux multiples liaisons qu’ils entretiennent, aux crimes auxquels ils participent et au pouvoir sadique qu’ils gardent sur la destinée de leurs personnages. Le cas d’Adeline Dieudonné ne fait pas exception. Alors que les protagonistes de Kérozène, son dernier roman, sont franchement inquiétants, la romancière me reçoit à la table en bois de sa cuisine avec une décontraction souriante. La fenêtre en face de moi ouvre sur un jardin où l’on voit courir des poules derrière une jolie barrière peinte en blanc. Tout est désespérément rassurant. La tasse dans laquelle Adeline m’a versé un thé parfumé est décorée de chats noirs. Signe d’étrangeté ? Interrogée sur son enfance que j’espère pleine de secrets, notre Gaël guest me parle d’une vie à la campagne entourée d’animaux et de sa lecture enthousiaste à l’âge de huit ans des Mémoires d’un âne de la Comtesse de Ségur. Suis-je en train d’interviewer un écrivain sans histoire ? Côté écriture, l’auteure de La Vraie Vie confesse avoir commencé un journal intime à l’adolescence et avoir ressenti des frissons en écrivant une rédaction sur un accident de cheval particulièrement violent. ”Bizarrement, c'est seulement à l'âge de 33 ans que j'ai redécouvert cet exutoire-là et c'est aussi venu d'une angoisse” ajoute-elle tranquillement. Le voile s’est déchiré. Sous sa frange de cheveux dorés, mon interlocutrice me raconte les peurs que lui inspire ce monde ultra-violent dans lequel elle a donné naissance à deux petites filles. Elle me confie la façon dont l’écriture a fait ressortir des émotions négatives trop longtemps refoulées par l’éducation et la société. Comme il fallait s’y attendre et comme la plupart des génies littéraires, Adeline Dieudonné a caché sa véritable folie dans ses livres. Voici quelques éléments qui devraient nous aider à lire entre les lignes.



Adeline Dieudonné romancière best-seller
Adeline Dieudonné (c) photo Céline Nieszawer - Leextra (c) L’iconoclaste

Étais-tu une petite fille sage?

Oui, oui, très sage. Mes parents disaient toujours que c’était un bonheur d'avoir une enfant aussi facile. Je crois que ça m’a conditionnée à ne pas savoir dire non. En plus, ils me construisaient un peu en opposition avec ma sœur qui était vue comme une enfant plus capricieuse. Du coup, j'ai beaucoup de mal à faire entendre mes besoins et à mettre des limites. C’est ce qui m'a inspiré le personnage de Julie dans Kérozène. Cette fille qui accepte l'inacceptable parce qu'elle ne sait pas dire non.


Avais-tu un petit frère à protéger comme l'héroïne de La Vraie Vie?

J'ai deux petits frères mais j’ai des rapports très différents avec eux. Le premier a un peu moins de deux ans de moins que moi et le deuxième est venu beaucoup plus tard, quand j'avais 13 ans. Là, il y avait un vrai instinct de protection parce que j'étais suffisamment grande pour comprendre sa fragilité. C’était presque un rapport mère-enfant. Le fait de réaliser à la fois sa vulnérabilité et son insouciance face au danger m’a donné des angoisses terribles.


As-tu puisé dans ces angoisses pour décrire la relation frère-sœur dans La Vraie Vie?

Complètement. A la différence que nous, on a grandi dans un cadre familial très rassurant et très bienveillant. Il n'y avait pas cette adversité dont l’héroine essaye de protéger son frère en permanence.


Tu n’étais pas le genre de petite fille qui gribouille toute la journée et qui raconte qu’elle veut devenir écrivain ?

Non, parce que déjà, dans ma famille, il n'y a pas d'artistes. En fait, pour moi les écrivains c'étaient des gens qui pour la plupart étaient morts. Je ne m'identifiais pas du tout à eux. Et d'ailleurs, quand j'ai commencé à écrire La Vraie Vie, il y a vraiment eu un sentiment de transgression. Je n'osais dire à personne que j'écrivais un roman parce que je trouvais ça très prétentieux. Je pensais aussi que c’était un truc réservé à des gens qui avaient fait des études de lettres et moi, je n'avais pas fait d'études. Non, quand j'étais petite, je voulais faire éleveuse de chiens ou garde-chasse à cheval.


Tu as finalement suivi une formation de comédienne. Comment t’est venue cette envie d’être sur scène ?

C’est venu très tard, à l'âge de 15 ans. J'ai commencé à faire de l'impro parce que mes parents avaient des amis qui en faisaient. C’est là que j’ai rencontré mon premier amoureux qui voulait être comédien et faire le conservatoire. Il m'a un petit peu entraîné là dedans. Quand j'ai eu fini l'école à 18 ans, on est partis vivre ensemble ici à Bruxelles. Moi, je me plaisais bien sur scène, je trouvais que c'était un bon moyen de ne pas choisir. L'espace d’un instant, je pouvais échapper à ma vie et me mettre dans la peau de quelqu'un d'autre. Le problème c’est qu’on est très passif et qu’on a un grand sentiment d'impuissance quand on n'est pas retenue, c'est très, très frustrant.


Aujourd'hui, fais-tu des liens entre ton travail d'écrivain et le métier de comédienne ?

A fond. Pour les deux, il faut sortir de soi même, se glisser dans les pensées de quelqu'un d'autre et regarder le monde à travers ses yeux. Et puis, c’est arrêter de penser et de vouloir contrôler les choses. Par rapport à l'impro, j’ai dû faire un travail assez difficile sur moi car il faut vraiment se laisser guider par ses émotions. Il ne faut surtout pas intellectualiser. Et j'ai gardé ça dans l'écriture. Si j'essaie d'anticiper le propos ou de délivrer un message, je sais que c'est raté. Je ne dois surtout pas commencer à remettre en question ce qui se passe au moment de l'écriture. Il y a quelque chose d'un peu mystique là dedans que je dois accepter. Il faut avancer et arrêter d'avoir des regrets. L’impro a été une école formidable pour moi. Et puis comme la scène, l’écriture est aussi un acte physique. Je n'écris pas assise mais accroupie sur un petit tabouret de méditation. Je ne sais pas écrire à une table. C'est trop figé, l’énergie ne circule pas.


Tu écris pendant de longues périodes ou plutôt par petites séances ?

Ce que je préfère, c'est faire des résidences d'écriture parce que je peux me dire que pendant deux semaines, je ne vais faire que ça. L’idéal c'est même de partir de Bruxelles. Comme ça, je suis sûr qu'il n'y a rien qui vient s'interposer et que je peux complètement me laisser absorber par l'écriture.


Quand tu t’es mise à écrire à l'âge de 33 ans, tu as commencé tout de suite un roman?

Non, J'ai d'abord commencé par écrire Bonobo Moussaka, ma pièce de théâtre. Je savais ce dont j'avais envie de parler et ce que j'avais besoin d'évacuer. Le fait d'imaginer ça dans un discours sur scène, ça me paraissait plus direct et naturel. J'avais déjà essayé d'écrire des scénarios mais le problème c'est qu'il n'y a rien de plus compliqué à monter qu'un film. Ecrire une pièce, c'était facile et ça ne demandait l'aide de personne. Trouver deux soirs par semaine un petit café-théâtre pour jouer, ça me paraissait gérable. J'en avais tellement marre des projets avortés. Je me suis mis une discipline d'écriture et j'ai mis deux mois à l'écrire. Quand je suis arrivée au bout, je n’avais pas du tout envie de m'arrêter. Du coup, j'ai écrit une nouvelle parce que j'avais vu que la Fédération Wallonie-Bruxelles organisait un concours. Je l'ai aussi envoyée à Thomas Gunzig. On s'étaient rencontrés au Bar du matin où j'allais pour travailler. C'est lui qui m'a encouragée à commencer à écrire un roman. C’est fou mais j’avais besoin qu’un homme me le dise pour y croire, j’avais besoin de son autorisation. Avec une femme ça aurait été différent. C’est triste mais au moins je suis lucide.


Aujourd’hui, y a-t-il encore des situations ou des pensées qui t’empêchent d’écrire ?

Le surplus de sollicitations et de stimuli m’empêche d’écrire. Parfois après une journée très remplie, je suis incapable de m’y mettre à cause de toutes les pensées parasites qui m’assaillent. Je dis ça mais La Vraie Vie, je l’ai écrit justement à une période très compliquée de ma vie. J’étais en pleine séparation avec le père de ma deuxième fille et je travaillais à temps plein mais j’écrivais quand même tous les matins pendant une heure. Cela me permettait de mettre la réalité à distance et de configurer ma journée différemment.


Te sens-tu parfois obligée de t’autocensurer ?

Non pas du tout. C’est vrai que si tu écris en anticipant ce que vont en penser ta mère et ta grand-mère, tu es bloquée, tu ne peux plus rien raconter. En fait, quand j’écris, je laisse tout venir, je me dis que le premier jet n’appartient qu’à moi et que je me censurerais après en faisant le contrôle qualité. Quand je relis, c’est déjà là et ça ne m’appartient déjà plus. Du coup, je laisse.



Et comment tu te sens quand tes proches ouvrent tes livres?

J’assume. (rire et grimace) Mais j’ai de la chance, mon entourage et bienveillant. Pour La Vraie Vie, ils l’ont lu avant publication. Ma mère ne savait pas trop quoi en penser. Pour Kérozène, c’était plus facile, après le succès du premier, j’avais plus de légitimité. Ma mère m’a quand même dit au téléphone ”mais qu’est-ce qu’on t’a fait pour que tu écrives des choses comme ça? ”. Je réalise qu’ils doivent aussi l’assumer vis-à-vis de leurs amis et de leur propre entourage. Je crois que ma grand-mère est en train de le lire…


Tu assumes également la violence de tes textes ?

Je suis un peu étonnée quand on me parle de la violence dans mes romans, je trouve que nous vivons dans un monde beaucoup plus violent que ce que je décris. Il suffit de regarder les faits divers, de penser à tous ceux qui se noient dans la Méditerranée, de voir tous ces gens sur les trottoirs ou tous ces camions sur l’autoroute qui emmènent des dizaines d’animaux à l’abattoir. Dernièrement un journaliste a comparé mon écriture au cinéma de Tarantino. Je l’ai pris comme un compliment. Plus c’est gore, moins c’est réaliste et plus ça permet la mise à distance. La violence que je mets dans mes fictions a pour moi une dimension cathartique, j’espère que les lecteurs le ressentent aussi.


Quelle partie de ton métier préfères-tu ?

J’ai découvert tout le processus avec La Vraie Vie mais c’est avec Kérozène que j’ai pu comprendre ce qui me plaisait vraiment. En fait, ce que je préfère, c’est la fin de l’écriture quand je vois enfin à quoi ça va ressembler. Il y a une sorte de basculement, c’est comme si j’avais peint une fresque dans le noir et que j’allumais la lumière. J’ai tout à coup une vue d’ensemble et je n’ai plus qu’à faire des retouches. Pour mon prochain livre, j’aimerais trouver une méthode qui me permette de peindre un peu moins dans le noir. J’ai d’ailleurs commencé un roman après La Vraie Vie que j’ai dû arrêter, j’avais trop de matière et c’était trop vertigineux. Peut-être que je le reprendrai un jour.


As-tu parfois l’impression de devoir choisir entre la vie et l’écriture ?

Complètement. Ce qu’il y a d’épuisant dans le boulot d’écrivain c’est que tu passes ton temps à essayer d’empêcher le monde extérieur de t’envahir. Aujourd’hui, dire non fait partie de mon job d’écrivain, je dois protéger mon travail. C’est pour ça que je préfère vivre seule. Ça me permet de tout contrôler. Surtout que j’ai toujours eu tendance à faire passer les besoins des autres avant les miens et la personne avec laquelle je vivais finissait toujours par le payer. Bien sûr ça ne marche pas avec les enfants, tu ne peux pas les mettre à distance.


Quel genre de mère es-tu ?

Une mère plutôt cool, pas angoissée en tout cas. Quand mes filles ne sont pas là, je ne les appelle pas, je sais que tout se passe bien. Elles ont 13 et 7 ans et sont déjà très autodisciplinées. Il n’y a pas beaucoup de règles mais je suis inflexible. Les enfants ont besoin de repères pour se créer leurs propres espaces de liberté. J’ai été une mère très disponible quand elles étaient bébé. Je leur ai consacré chacune un an complet de ma vie, en les portant, les nourrissant et en dormant avec elles. Elles ont été gavé d’affection dès le début.


Qu’as-tu ressenti à la publication de ton premier roman ?

Je savais que très peu de manuscrits sont édités. Je connaissais déjà un peu cette réalité-là avec les castings. J’ai envoyé le premier jet à l’Iconoclaste et Julia Pavlowitch m’a répondu qu’il y avait de la qualité dans mon texte mais qu’il y avait aussi du boulot. Je l’ai rebossé pendant 3 mois. Quand j’ai appris qu’il allait être publié, j’étais hyper heureuse. L’idée que j’avais écrit un roman et qu’il serait dans les librairies avec mon nom sur la couverture, c’était déjà magique.


Quel impact a eu le succès dans ta vie personnelle et dans ton écriture ?

Le succès m’a offert une liberté financière avec la fierté de gagner ma vie sans dépendre de qui que ce soit mais aussi la liberté de pousser des portes et de proposer des projets qui me plaisent sans avoir à affronter des refus. J’ai longtemps souffert de ça en tant que comédienne. Sur le plan de l’écriture, maintenant j’ai beaucoup plus confiance dans mon instinct. C’est vrai que je peux encore me planter mais j’ai aussi une équipe éditoriale derrière moi. Je suis heureuse d’avoir surmonté l’étape du deuxième roman. Le plus important, c’est que je suis contente du livre en lui-même, c’est exactement ce que j’avais envie d’écrire. J’ai vraiment l’impression d’avoir donné le meilleur de moi-même. En plus, c’est aussi un succès et ça, c’était pas acquis. Je me disais que j’avais eu juste un énorme coup de bol pour le premier…



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